La colocation entre mamies
« J'avais quelques économies, mais pas beaucoup, [...] il n'a pas fallu longtemps pour qu'elles disparaissent », regrette Pat Dunn.
Photo : Gracieuseté : Pat Dunn
- Caroline Samii-Esfahani
Des femmes âgées éprouvent des difficultés à se loger seules avec leur maigre retraite. Après le décès de son mari, Pat Dunn a vécu dans une maison mobile l'été et chez sa soeur l'hiver pendant 4 années, avant d'enménager avec deux colocataires pensionnées dans une maison.
La retraite de Mme Dunn a viré au cauchemar en 2014 quand son mari décède soudainement à bord de leur bateau, devenu leur seule maison, aux abords du Mexique.
Veuve à 64 ans, Mme Dunn est sous le choc de son deuil. La retraitée vit de ses maigres économies qui lui filent entre les doigts au point de vendre le bateau sur lequel le couple a vécu depuis une dizaine d’années pendant qu’il le retapait.
J'ai été révoltée de découvrir que je n'aurais pas les moyens de vivre au Canada. En tant que célibataire sans deux revenus, un appartement d'une chambre était trop cher pour moi
, se souvient-elle.
J'ai touché le fond quand j'ai cherché sur Internet des informations sur la façon de vivre en sécurité dans ma voiture.
Pendant près de quatre ans, Mme Dunn vit dans une itinérance cachée. Pour survivre à son insécurité liée au logement, l'hiver elle vagabondait d’un canapé à l’autre et logeait dans sa maison mobile l’été.
Pour payer ses dettes, Pat Dunn a dû vendre sa maison mobile située à Lindsay, en Ontario.
Photo : Gracieuseté : Pat Dunn
Une colocation qui s'inspire des Golden Girls
En détresse et sans logement stable, la jeune veuve dresse une liste de ses besoins. Elle réalise que bien qu’elle tienne à son indépendance, elle a besoin de se sentir entourée dans une communauté et sécurisée dans un logement qu'elle peut se payer.
Ce que je pensais dans ma tête, c'est que la solitude allait me tuer.
Elle s’est remémoré la cohabitation de femmes d’âge d’or de la comédie américaine The Golden Girls. [La série] était une fiction, alors que ce que je vivais était bien réel
, dit Mme Dunn en soupirant.
S’enchaîne la création d’une page Facebook centrée sur la colocation entre Ontariennes, Senior Women Living Together, qui est devenue un véritable lieu où l'on peut venir chercher des colocs [de plus de 55 ans] compatibles
, précise-t-elle.
Je m'attendais à ce qu'au moins cinq femmes viennent parler. Mais j'en ai eu 50 par semaine qui se sont jointes au groupe. À la fin du mois, il y avait 200 membres !
Le groupe compte aujourd'hui plus de 2300 membres, se réjouit-elle.
La colocation, un remède à la solitude?
Si [les femmes] entraient sur le marché du travail, c'était souvent à un niveau de salaire inférieur et elles prenaient des congés [de matérnité]
et pour s'occuper des enfants, ce qui une fois à la retraite se reflètait sur une pension inférieure à celle de leurs homologues masculins
, constate la gériatre et fondatrice du centre de recherche torontois Women’s Age Lab [Laboratoire sur l'âge des femmes, NDLR], Dre Paula Rochon.
Les gens comparent la solitude à la consommation de 15 cigarettes par jour, ce qui est mauvais pour la santé.
Il arrive aussi trop souvent que des personnes [âgées] vivent dans des appartements ou des copropriétés, voire dans des quartiers et qu'elles ne connaissent pas les gens qui les entourent, alors qu'elles aimeraient vraiment les connaître
, observe-t-elle.
Pendant leur retraite, Pat Dunn et son époux, Dave, ont navigué dans les Caraïbes sur leur bateau.
Photo : Gracieuseté : Pat Dunn
La colocation est un mode de vie communautaire qui peut combler la solitude vécue par les femmes qui ont une espérance de vie plus grande que les hommes, conclut Dre Rochon.
Le rapport Statut d’immigrant et solitude chez les Canadiens âgés de Statistique Canada révèle qu'en 2019 et en 2020, 23 % des Canadiennes disaient éprouver de la solitude, contre 15 % d’hommes.
Par ailleurs, les femmes âgées ayant migré de l’Europe se sentent davantage seules, 27 %, comparées à celles nées au Canada, soit 22 %, selon la même étude.
Vieillir entre amies
C’est via son groupe Facebook que Mme Dunn a trouvé deux colocataires d’âge mûr avec lesquelles elle vit depuis quatre ans dans une maison louée à prix raisonnable.
Il n'y a rien de plus merveilleux que de s'asseoir et d'avoir quelqu'un à qui parler, avec qui dîner.
Si je tombe, [mes colocs] m'aideront. Elles ne me relèveront peut-être pas, mais elles appelleront l'ambulance
, renchérit-elle.
Mais avant de trouver la colocation du bonheur, le plus grand défi est de trouver un endroit où vivre. Une fois que vous avez réuni votre groupe de colocs, il n'y a pratiquement rien à louer
, déplore Mme Dunn.
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Pour les hommes et les femmes
Alors que Senior Women Living Together opère uniquement en Ontario, d'autres initiatives semblables ailleurs au soutiennent les personnes âgées de 55 ans et plus ailleurs au pays.
À partir de 2024 , l’organisme sans but lucratif, HelpAge Canada, étend au pays son service de colocation intergénérationnelle entre des étudiants et des aînés Canada HomeShare, pour inclure les colocations entre aînés.
Ces services seront accessibles aux résidents de Peterborough, Kingston, Vancouver, Edmonton, Peel, Toronto et de Fredericton.
- Caroline Samii-Esfahani