Quel bilan pour le projet pilote des communautés francophones accueillantes?
Pour améliorer l'accueil des nouveaux arrivants francophones, Ottawa soutient, depuis 2020, 14 communautés canadiennes, dont Hamilton, le Grand Sudbury et Hawkesbury, en Ontario. Le financement de ce projet pilote n'est assuré, pour l'instant, que jusqu'en mars 2024.
Des immigrants tiennent des drapeaux du Canada lors d'une cérémonie de citoyenneté.
Photo : Radio-Canada / Stephen Lubig
Le projet pilote des communautés francophones accueillantes mis en place par le gouvernement fédéral a transformé de manière significative le système d’accueil des nouveaux arrivants d’expression française en Ontario dans les quatre dernières années, selon plusieurs intervenants qui réclament le renouvellement de l'initiative.
Élan F, un incubateur d’entreprises pour nouveaux arrivants dans le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario, est l'un des programmes lancés grâce au projet pilote.
L'Ivoirienne d'origine Karen Niaba, installée à Hamilton depuis 2020, en a bénéficié.
Avec sa jeune entreprise, ArtConnekt, elle offre des ateliers dans des écoles, des entreprises et des groupes communautaires, dans lesquels elle partage avec des personnes de tous âges ses connaissances des tissus et pagnes africains.
Les participants aux ateliers d'ArtConnekt sont invités à produire des œuvres avec des pagnes africains, comme celle-ci.
Photo : Karen Niaba
Ce qui me fait plaisir, c’est toute la curiosité que [les personnes] expriment autour de ce tissu-là
, confie-t-elle.
Des projets durables
Je pense qu’on est tous très satisfaits de ce qu’on a accompli
, indique la porte-parole de la Communauté francophone accueillante de Hamilton, Julie Jardel.
En plus d’Élan F, l’argent octroyé aux responsables de l’initiative dans la ville de l’acier a permis d’élaborer La ligne bleue, un parcours touristique dans le centre-ville
Celui-ci permet de mettre en valeur, pour les nouveaux arrivants, comment l’immigration a contribué à l’essor et à l’épanouissement de la ville de Hamilton depuis sa création
, explique Mme Jardel.
On a des projets qui ont beaucoup de succès, qui sont durables, qui ont un très bon impact dans la communauté.
Surtout, le plus grand bénéfice qu’on en a retiré comme communauté, c’est qu’on [...] a une cohésion entre les organismes à but non lucratif qui opèrent en français à Hamilton qui est vraiment renforcée
, ajoute Mme Jardel.
Julie Jardel est la directrice générale du Centre Francophone de Hamilton.
Photo : Radio-Canada
Plus d’appui direct aux communautés ethnoculturelles
Le projet pilote à Hamilton a aussi permis de soutenir des initiatives émanant directement des communautés ethnoculturelles.
C’est là un élément qui a longtemps été dans l’angle mort du soutien aux nouveaux arrivants, estime le président de la Communauté congolaise de Hamilton, Jean-Jacques Somwe.
Je l’ai toujours dit : les communautés ethnoculturelles travaillent 24 heures sur 24.
Elles connaissent leurs membres, les nouveaux arrivants et les enjeux de leurs communautés. Alors, leur donner la capacité de s’organiser, les soutenir, les accompagner, ça va créer cette symbiose de participation, de plus de membres de communautés francophones
, affirme-t-il.
Jean-Jacques Somwe est président de la Communauté congolaise de Hamilton.
Photo : Avec l'autorisation de Jean-Jacques Somwe
Dans les trois dernières années, son regroupement ainsi que d’autres, similaires, ont pu recevoir de l’appui pour une myriade d’activités comme des concours de talents et des tournois sportifs.
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Je pense que l’initiative a beaucoup facilité le développement des communautés ethnoculturelles sur le plan structurel et financier. Moi, je trouve que la stratégie est bonne
, dit Jean-Jacques Somwe.
Des leçons pour le milieu artistique et culturel à Sudbury
Dans le Grand Sudbury, la désignation de la ville comme communauté francophone accueillante a catalysé une réflexion des organismes culturels et artistiques francophones sur l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants, souligne la directrice artistique du Théâtre du Nouvel-Ontario, Marie-Pierre Proulx.
On est plusieurs [...] à se demander depuis longtemps comment on fait partie de cette structure-là d’accueil, comment on dit bienvenue aux gens, puis on les amène à pouvoir participer à cette culture-là quand ils arrivent à Sudbury et ça se faisait de façon beaucoup moins structurée
, note-t-elle.
Marie-Pierre Proulx est la directrice artistique du Théâtre du Nouvel-Ontario. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Bienvenu Senga
Elle n’a donc pas hésité lorsque les responsables de la communauté accueillante francophone de Sudbury l’ont approchée pour accueillir, en 2022, un concours de talents théâtralisé dont la distribution était entièrement faite de jeunes francophones issus de l’immigration.
Une deuxième édition du spectacle baptisé Par ici, le talent est prévue en mars 2024.
La conteuse et percussionniste Gisèle Gbobouo, originaire de la Côte d'Ivoire a participé au spectacle Par ici, le talent en 2022.
Photo : Théâtre du Nouvel-Ontario
On se rend compte à quel point on vit dans un monde peut-être un peu fermé où il y a des façons de faire, des pratiques artistiques, des approches qui reflètent une culture locale, sudburoise, ontarienne, canadienne, et qu’il y a de la place à faire à des formes culturelles et artistiques qui viennent d’ailleurs
, explique Marie-Pierre Proulx.
On dit depuis toujours qu’on fait du théâtre franco-ontarien parce que les jeunes Franco-Ontariens voulaient se voir sur scène
, poursuit-elle.
C’est la même chose pour les nouveaux arrivants. Ils arrivent avec un bagage et il faut faire de la place pour ces cultures-là.
Le Centre de santé communautaire du Grand Sudbury, qui gère l’initiative de communauté francophone accueillante dans la ville du nickel, se réjouit du parcours accompli dans les quatre dernières années.
Selon le coordonnateur des services d’immigration, Moïse Zahoui, plusieurs organismes communautaires se montrent réceptifs à créer des initiatives visant à mettre en lumière l’immigration francophone.
L’appétit vient
aussi progressivement chez les employeurs pour embaucher de nouveaux arrivants francophones, remarque M. Zahoui, alors qu’au préalable, il y avait de la résistance
.
On est en train d’influencer l’environnement. On voit de nouvelles choses qui arrivent.
Je ne dirais pas que tout est rose, mais on a de beaux retours
, ajoute M. Zahoui, au sujet de la rétroaction qu’il reçoit de nouveaux arrivants depuis la désignation du Grand Sudbury comme communauté francophone accueillante.
Le coordonnateur des services d'immigration au Centre de santé communautaire du Grand Sudbury, Moïse Zahoui, remarque que de plus en plus de nouveaux arrivants s'installent dans la ville du nickel directement en provenance de leur pays d'origine alors que l'immigration francophone à Sudbury était principalement secondaire il y a quelques années. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Chris St-Pierre
L’an dernier, le Réseau de soutien à l’immigration francophone du Nord de l’Ontario publiait un rapport indiquant que 80 % des immigrants francophones noirs percevaient de la discrimination à Sudbury.
Mais ces données ne viennent pas pour nous dire que le travail se fait mal
, réagit M. Zahoui.
Pour moi, ce sont des données qui nous aident. C’est mieux de savoir ce qui ne va pas pour savoir comment le réparer que d’être ignorant et de voir la situation aller de mal en pis.
Il y a des choses à faire et les acteurs communautaires sont prêts, dit M. Zahoui.
Toute une transformation
à Hawkesbury
L’initiative des communautés francophones accueillantes a été une très bonne chose pour la région
de Hawkesbury, observe la responsable du projet, Elise Edimo.
Elise Edimo est coordonnatrice de l'initiative de communauté francophone accueillante de Hawkesbury. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada
La région semi-rurale qui n’attirait pas naturellement d’immigrants francophones
, il y a à peine quelques années, note-t-elle, a pu récemment se doter d’une infrastructure d’accueil des nouveaux arrivants grâce au projet pilote du gouvernement fédéral.
Un service d’établissement a été créé et un agent de connexion communautaire a été embauché. Une panoplie de nouvelles activités, dont un festival multiculturel, s’y tiennent désormais.
Il y a toute une transformation qui a été faite au niveau de la ville. Les nouveaux arrivants choisissent depuis leur pays d’origine la ville de Hawkesbury comme destination.
Ça, c’est quelque chose de très important dans le cadre de la réussite de ce projet pilote
, croit Mme Edimo.
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Des défis persistent, dont le logement
Quand on lui demande ce qui, à son avis, reste à mettre en place pour mieux assurer l’épanouissement des nouveaux arrivants francophones, la réponse d'Élise Edimo est sans équivoque.
C’est la question du logement
, déclare-t-elle.
Hawkesbury est une région où il y a plusieurs emplois vacants, ce qui encourage aussi des étrangers francophones à vouloir s’y établir, affirme-t-elle, même pour des emplois temporaires.
C’est un problème pancanadien [...] assez important. S’il y a un développement avec plusieurs logements, je pense que ça va renforcer les choses
, indique Mme Edimo.
Anne Félicité N'Goran est la présidente de l'Association des Ivoiriennes et Ivoiriens du Grand Sudbury. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Eric Robitaille
Le logement, c’est ça la grosse épine
, évoque également la présidente de la Communauté ivoirienne de Sudbury, Anne Félicité N’Goran.
Elle a d’ailleurs eu vent de plusieurs étudiants ivoiriens qui ont reporté d’une année leur admission dans les établissements postsecondaires de Sudbury faute de logement.
Même son de cloche pour Julie Jardel pour qui la pénurie de logements abordables à Hamilton est un des gros freins
à l’établissement des nouveaux arrivants dans cette ville.
Même si on est une ville accueillante, le logement ne la rend pas vraiment accueillante. Si le projet est renouvelé, c’est sûr que ça va être un des très gros pôles de ce qu’on va développer pour la communauté.
Elle aimerait voir de nouveaux projets, entre autres, de cohabitation ou de logement intergénérationnel.
Par ailleurs, bien des nouveaux arrivants francophones sont toujours accueillis par des organismes anglophones.
Elle souhaite un meilleur système de référencement vers des organismes opérant en français pour leur permettre d’être servis dans leur langue.
Des demandes de prolongation du projet
À quelques mois de la fin du projet pilote, que ce soit à Hawkesbury, à Sudbury ou encore à Hamilton, les appels se multiplient pour qu’Ottawa maintienne le financement de l’initiative après mars 2024.
Dans une déclaration écrite envoyée à Radio-Canada, un porte-parole d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) confirme que le gouvernement fédéral est au courant de cette volonté.
L’intention d’IRCC est aussi de poursuivre l’initiative des CFA (Communautés francophones accueillantes) qui a été à bien des égards un succès. Nous comptons informer les communautés très prochainement quant aux prochaines étapes
, écrit Rémi Larivière.